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Elma par Aline

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Elma par Aline Empty Elma par Aline

Message  Admin Sam 12 Avr - 10:10

ELMA

Pourquoi toujours ce même livre ? J’ai beau le changer de place, c’est sur lui que je retombe sans cesse ? Parfois, j’ai envie de le jeter par terre, de le piétiner, de le brûler. C’est comme un aimant.
Ah oui ! Tiens, un livre qui serait amoureux de moi, qui voudrait toujours que je le touche……. Un peu comme Fabrice.
J’aime quand il vient fourrer sa tête sous mes jupes. Il souffle dedans de toutes ses forces pour en faire une immense voilure qu’il déploie au gré de ses voyages fantastiques. D’ailleurs depuis combien de temps n’est-il plus venu me déloger de mon échelle seul espace où les livres me tiennent en mains.
Fabrice Fabrice où es-tu ? Tu sais bien que j’ai le mal de terre.
J’aime que comme un corsaire tu me voles de mon échelle pour me jeter sur le canapé.
Elma lâche son livre, elle relit tout le temps le même, comme pour trouver un fil qu’elle aurait perdu. Elle le lâche pour pouvoir l’entourer de ces tissus chauds qu’elle ramène de voyages…. angoratine, grain de poudre, damas, bayadère. Autant de noms qui la font rêver. Bien au chaud dans ses couleurs le livre dort protégé des bousculades. Il peut alors se poser sur une étagère, un meuble ou aux pieds du lit d’Elma. Plus besoin de jouer les filles de l’air. Elma et son livre peuvent atterrir, se poser sans se scratcher.
Aujourd’hui, c’est l' anniversaire d'Elma. En cadeau elle veut que son livre parte en voyage.
Après des heures de réflexions, d’hésitations elle l’engouffre dans son gilet en l’ayant dévêtu de tous ses tissus qui le protègent, il est grand maintenant se dit-elle en souriant.
Elle l’engouffre dans son gilet pour aller le déposer sur un banc public. Elle a récemment lu un article sur ces livres promeneurs.
Bien emmitouflée, elle claque la porte de la maison. Le clac métallique la surprend, il est froid comme la poignée de la porte qui donne sur le boulevard des Maraudeurs. Remontant ses épaules dans son cou le livre au chaud sur sa poitrine, elle met les mains dans les poches en sent le tissu soyeux presque glissant. Au fond de sa poche droite elle découvre un caillou qu’elle avait ramassé quand avec Fabrice, ils avaient visité la grotte aux folles à l’automne. Elle avait eu peur le long de ce sentier glissant, la glaise humide collait à ses chaussures comme une ombre vous colle à la peau.
Le bus 42 B passe devant elle éclaboussant le trottoir de ce suintement de fin d’après midi, le suivant, elle descend la rue des Maraudeurs et reprend contact avec son livre qu’elle avait oublié quelques instants. Elle se dirige vers le parc Lucilio Vanini philosophe brûlé en 1619 pour athéisme et magie. En marchant Elma se demande ce qu’elle aurait vécu à une telle époque, elle qui parle aux arbres, aux cailloux aux livres comme s’ils avaient une âme.
C’est dans ce parc qu’elle veut déposer son livre. Lucilio Vanini l’accompagnera dans son prochain voyage choisira sûrement le meilleur des navigateurs pour qu’Elma et son livre puissent se séparer en paix.
Elle choisit le banc sous le grand micocoulier, s’installe. L’humidité de cet après midi d’hiver s’y est déjà déposée. Elle sort le livre de sa niche, il est tout chaud. Furtivement elle regarde à droite, à gauche, personne, elle dépose son livre, garde la trace de sa chaleur quelques instants. Elle surprend son souffle court, presque en apnée comme une voleuse se dit-elle. Je ne vole rien ! Je donne, je libère, j’abandonne, oui c’est cela, le sentiment d’abandonner quelque chose, pire, quelqu’un. Elle reprend son souffle, met les mains dans les poches appuie son dos contre le banc en bois humide et attend le nouveau maître. Un pas arrive, traîne derrière elle, il y a du gravier qui chuinte, cliquetis de bord de mer. Il approche, elle sait que c’est un homme. Une lourdeur dans le pas ? Non, une présence dans le talon.
Ce pas, suit le sentier vient se coller à elle, s’éloigne, s’arrête et s’assoit sur le banc où Elma attend.
Elle n’ose pas lever la tête, et ne voit que les bottes en vieux cuir rouge de cet homme.
Elle sourit et si j’achetais des bottes rouges à Fabrice. Elle imagina alors tous les chemins que cet homme avait du faire pour que les siennes soient si usées, particulièrement à l’endroit où les talons frottent l’un contre l’autre et cet endroit plus lustré celui que l’on tient fermement pour enfiler ses bottes. Il s’est assis tout près du livre, le regarde et la regarde aussi.
Verts ses yeux sont verts mais comme absents. Son écharpe couvre sa bouche. Dommage, elle aurait aimé en connaître la forme. La bouche parle souvent de l’autre sans qu’il le sache, ces petits plissements sous les ailes du nez allant jusqu'à assombrir le rebord de la lèvre supérieure, cette légère ouverture qui dessine les dents, ou ces battements des mâchoires à peine perceptibles qui s’accrochent à la vie sans savoir respirer.
- Il est à vous ce livre ?
Elle sourit pense aux bottes rouges, en disant cela il a pris le livre dans ses mains, ses deux mains. Il le soupèse, en touche le grain. Elle n’aurait pas du tout été étonnée qu’il le sente, les livres ont toujours une odeur.
- Non, enfin oui, oui et non.
Elle voulait qu’il voyage son livre et cet homme l’arrête là sur ce banc. Pourquoi est-elle restée à coté de lui ? J’aurais pu aller sur un autre banc et voir ce qui se passait de loin.
Va-t-elle devoir reprendre son livre comme si de rien n’était ou lui dire l’article, le journal, les gens inscrits dans ce jeu des livres migrants. Un peu d’humidité tombe du micocoulier. Depuis combien de temps d’ailleurs ? Elle ne le sait pas. Elle regarde les mains de l’homme. Elles sont grandes avec de légères touffes de poils à peine perceptibles entre les articulations, elle repense aux mains de son père l’incroyable douceur de ses mains et le pulpeux accueillant de ses doigts, mais chez cet homme, la peau est beaucoup plus tendue, plus travaillée.
- Je voulais le laisser là pour que quelqu’un le trouve, l’emporte, le lise
Il la regarde très brièvement. A peine effleurée pense-t-elle malgré elle.
Vous faites cela souvent?
Non c’est la première fois.
Il y a beaucoup d’humidité, votre livre va s’abîmer.
Si vous l’acceptez, c’est le votre.
Il la regarde, mais ses yeux sont ailleurs, il semble projeté loin dans le temps.
Je pourrais l’envoyer en Indonésie dit-il enfin?
En disant cela il pensait à Judith l'eurasienne qu’il avait connue.
Surprise Elma le regarde, il n’a toujours pas lâché le livre, il le sert fort, une veine s’est tendue sur le dos de sa main.
-En Indonésie ? oui pourquoi pas j’ai toujours aimé voyager.
Abasourdie, elle voudrait rattraper cette phrase embarrassante, se retrouver perchée sur son échelle, mais le frottement des bottes l’une contre l’autre l’emporte malgré elle comme un vieux souvenir. Une légère palpitation tremble dans sa main. Les silences prolongés de cet homme la troublent, sorte d’absence égarée dont elle sort pour s’entendre dire :
- Je m’appelle Elma.
Le brouillard nimbe les arbres d’un halo régulier d’où s’échappent quelques gouttes d’hiver éclats de cristal sur le sol, pluie lumineuse qui habille cailloux, feuilles et futaies. Elle entend de nouveau le gravier dans son dos.
Fabrice ? Non sûrement pas.
Sans trop comprendre pourquoi elle a eu peur d’être surprise là avec cet homme.
Moi j’habite à la roche de Solutrée tout près de la voie ferrée dit-il.
Hier j’ai vu un reportage où des femmes vendaient leur corps entre deux voies de chemin de fer, enfin c’est là que les marins à quai les rencontraient puis elles les amenaient dans ces cabanes faites de bric et de broc qui longent la voie ferrée et là ils dansaient une partie de la nuit qui était déchirée par des trains terriblement violents par leur proximité.
Après un long silence il lui demande de nouveau :
Je peux l’envoyer en Indonésie ?
Elle n’ose pas lui demander pourquoi ou pour qui, et pourquoi lui raconte-t-il cette histoire de femmes, sur la voie ferrée.
- C’était dans quel pays ce reportage ?
- En Indonésie tout près de Jakarta.
La nuit maintenant est toute proche
Vous y êtes déjà allée ?
Oui lui dit-elle .
Elle regarde les plis du manteau de cuir, remarque ce lustré tout à l’entrée de la poche tellement la main y est passée. Elle imagine la main de cet homme sur sa peau à elle et la peau qui serait plus fine d’avoir été trop caressée. Dans son ventre une chaleur la laisse là sans pouvoir partir de ce banc.
C’est la première fois que je viens ici murmure-t-il.
Elle avale sa salive referme son manteau sur elle. Les bruits de la ville s’engouffrent dans sa tête comme un train qui passe. Ce soir elle a rendez-vous avec Fabrice, ils iront au restaurant sûrement un Indonésien pourquoi pas.
- Je peux le prendre alors ?
- Oui vous pouvez.
Elle regarde le livre qui longe le brillant du manteau avant de pénétrer lentement dans la poche de l’homme, quelques feuilles cornées en dépassent comme un clin d’œil. La respiration d’Elma est courte mais elle la veut silencieuse. L’homme semble un peu gêné mais lui non plus ne se lève pas.
Sa main suit les rugosités du banc quelques écailles scintillent sur ses doigts, l’air absent il dessine un pays imaginaire avec ses reliefs, ses aspérités, sa rugosité. Elle enfile ses gants en laine rouge et pour la première fois leurs regards se croisent, longtemps sans rien dire, leurs bouches s’entrouvrent, juste un regard.
Je m’appelle Elma lui dit-elle en se levant.
Elle sent les rondeurs des petits galets gris et blanc sous ses pieds, elle se souviens du chuintement de ceux ci quand l’homme est arrivé prés du banc. Elle piétine quelques secondes pour se donner du courage et s’en va accrocher aux bruits des cailloux pour ne plus penser ne plus sentir quand dans son dos elle entend.
- J’habite à la roche de Solutrée tout près de la voie ferrée.
Elle ne se retourne pas et pense au livre dans la poche lustrée de l’homme.
La nuit d’hiver est totalement là accompagnant les migrations des villes le soir venu. La porte du parc Lucilio Vanini claque derrière elle. Elle aurait préféré ne pas entendre cette porte comme une rupture.
Est-il toujours assis sous le micocoulier ? Peut être la regarde t-il partir ?
-Et s’il me suivait !
Aussitôt son dos se redresse. En rapprochant ses pieds l’un de l’autre sa démarche se fait plus chaloupée, elle avait remarqué cela lors d’un défilé de mode. Elle jette sa tête légèrement en arrière cambre les reins et remonte le boulevard des Maraudeurs. Sa respiration, présence vibrante dilate sa poitrine. Un vent froid s’engouffre sous sa jupe bayadère, dévoile la maille naissante qui attaque la douceur du creux poplité et amorce la courbe du mollet, dégradé sombre de brun et d'ocre. Sa respiration s’accélère. Un léger filet de langue humidifie ses lèvres tout de suite refroidies par le vent qui poussent les arbres vers le nord. Les boutiques ferment les unes après les autres. Elle entend un pas au loin, maintient sa démarche faussement chaloupée. Dans une vitrine elle regarde son image, espérant en voler une autre. Elle reste un moment devant le dernier étal de fruits pulpeux et colorés. C’est bientôt Noël, certains fruits plaquemines, fruits de la passion, caramboles étoilés, goyaves pommes cannelles ne nous parviennent qu’à ces moments là. Elle revisite le suc acide des premières clémentines, elle en imagine le goût et ses débordements qui parfois nacrent le menton. Immobile, elle guette le pas derrière elle, son corps se tend, ses yeux sont fascinés par des fruits de la passion. Elle connaît la croûte dure de ce dernier et cette couleur violacée peu appétissante pour qui n’en a jamais ouvert le fruit. C’était justement en Indonésie qu’elle l’avait goûté pour la première fois. Une chair blanche d’une douceur infinie qui éveille et engloutit chaque papille, annonciation éphémère. Peut être est ce le goût que certain accorde à la virginité. Ce fruit là quand il est bien mûr, c’est toujours comme une première fois, il a un éternel goût de commencement. Commencement du jour, de la vie de l’amour.
Le pas s’approche, elle tend l’oreille, va t-elle retrouver cette présence, cette accroche dans le talon qu’elle avait tout de suite remarquée chez l’homme, l’homme aux bottes en vieux cuir rouge, le ventre d’Elma se tend. Elle a froid à la gorge mais ses joues sont en feu.
Tu veux quelque chose Madame Elma je vais fermer.
Surprise elle regarde l’homme qui vient de lui parler à l’instant. Elle le reconnaît enfin ils se connaissent depuis longtemps. Je viens d’Algérie, de Mostaganem lui avait-il dit un jour. Il faudrait que tu reviennes au Pays, je te présenterai ma mère et toute ma famille. Tu sais le pays, il est toujours très beau, la guerre c’est fini maintenant. En voyant la blouse lustrée sur le ventre de Mophta elle repense à son livre. La poche du manteau de cuir, l’homme. C’est peut être lui qui arrive derrière elle. Tendue tremblante elle dit :
- oui Mophta je veux bien des plaquemines, elles sont très belles.
-Elles sont bonnes aussi madame ma parole c’est comme du pays qui te coule dans les veines.
Le pas s’approche, le frottement des chaussures sur le trottoir s’intensifie elle l’entend, elle le sent dans chaque parcelle de sa peau, presque son odeur tellement son souffle est concentré. Son trouble ne lui échappe pas, il la tient suspendu aux bords d’un abîme, elle vacille.
- Tiens madame ça fait trois euros vingt cinq. Malhabile, sa main dans sa poche lâche la petite pierre de la grotte aux folles qu’elle serrait très fort. Depuis combien de temps d’ailleurs et cherche les quelques pièces.
Les pas sont tout près maintenant. Elle ne bouge plus arc tendu par une main puissante, concentration d’instant éperdument planté dans le sol froid de la ville.
- Tu veux quelque chose d’autre Madame Elma,
- Non merci gémit-elle.
Mophta la regarde un peu surpris. Le pas la rattrape, il est lourd, tout proche, il lui semble entendre le crissement de la veste de cuir si près qu’elle réfrène une terrible envie de se retourner quand le pas claque sur sa droite. Un de ses pieds s’enfonce plus lourdement dans le sol que l’autre pensa-t-elle au paroxysme de la tension. Va t-il mettre sa main sur mon épaule, me rendre le livre ? Suspendue dans le temps, elle aperçoit la silhouette d’un homme : il la dépasse sans la regarder.
Tu veux vraiment rien d’autre Madame ?
- Oui oui je veux quelque chose d’autre dit-elle d’un trait comme pour se rattraper, des plaquemines.
- Encore des plaquemines ? .
-Non non des pêches !



Aline : janvier 2006

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